Food : Du goût et de l'émotion

Au printemps dernier, Vincent Buin a remporté le concours organisé par le Département Nos Chefs Ont Du Talent. En plus du plaisir de la victoire, figurait comme prix une matinée avec Christophe Poirier, chef étoilé de La Licorne Royale, à Lyons-la-Forêt. Le Deux Sept en était.

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Pas de cérémonie, chef Poirier accueille chef Buin avec une franche poignée de main. Tout de go, il propose un tour du propriétaire : extérieurs, cuisine et salle Empire, exclusivement décorée de pièces de collection. Il pourrait y avoir comme un choc des cultures. Imaginez donc, la salle Empire accueille douillettement 24 couverts. Chef Buin prépare quotidiennement un service pour 850 couverts au collège de Brionne.

Concours Départemental vs le Prosper Montagné

Immédiatement, Chef Poirier questionne : « Avec quel plat avez-vous remporté le concours ? » Chef Buin détaille : « Un poisson façon Wellington, un accord terre-mer. Nous travaillons des produits issus de filières courtes. Mon enjeu principal reste que les enfants goûtent et mangent de façon diversifiée. » La réaction fuse immédiatement : « Mais c’est fabuleux. Comme les professeurs de mathématiques ou de français, vous aussi vous formez les adolescents. Votre matière, c’est le goût. » En 2015, Christophe Poirier s’était présenté au concours national Prosper Montagné : « Finir 4e ne m’aurait pas amusé. Je me suis préparé pendant 3 mois en venant plus tôt le matin, en restant les après-midis et en partant bien après minuit chaque soir. » Le chef eurois a terminé… premier.

Pressé de foie gras et artichaut

Un café dégusté et retour à la cuisine. Chef Poirier présente son élève du jour à la brigade. Pas de cri. Le maître des lieux parle doucement : « Vous allez préparer un pressé de foie gras et d’artichaut. Commencez par couper deux belles tranches de foie gras… » Vincent Buin apprécie : « Je ne supporte plus la cuisine où l’on crie des ordres et aligne des remarques vexatoires. »

Les trois membres de la brigade s’affairent pour préparer les mets qui seront servis ce midi. Chef Poirier consent à ouvrir alors son palais mental : « Bien souvent, une recette me vient la nuit. Le travail d’association s’effectue tout d’abord dans ma tête. Si je dis : coriandre. J’ai le goût en bouche. Je peux lui associer une épice. J’ai la combinaison également en bouche et ainsi de suite. Après il y a un travail considérable à mener sur le piano. Avec toute mon équipe. J’aime bien aussi revisiter des plats qui m’ont ému. »

« Pas de ça ira ! »

Justement, Chef Poirier propose à Chef Buin de préparer une tarte aux noix. Le mot est précis, tout comme le geste. Il n’y a pas de « ça ira » au moment de foncer les cercles à pâte. « Un de mes maîtres préparait ce dessert. J’ai cherché comment le revisiter ? Naturellement, je lui ai fait goûter mon interprétation, il m’a dit : " Reste-là-dessus Christophe ! " J’étais heureux comme un enfant. De toute façon, la cuisine ce n’est que de l’émotion. Retrouver la saveur d’une volaille du dimanche. Avancer dans la vie et faire évoluer ses goûts. Travailler amoureusement une sauce, un jus qui va habiller un poisson, une viande. Votre travail Vincent, c’est ça, procurer du plaisir, donner de l’émotion. »

Calme, précision et passion

Les premiers clients arrivent. La brigade s’agite. Les consignes sont précises. Pas de mot en trop. Les poêles frémissent, les jus s’épaississent. Les assiettes sont dressées avec un soin pointilleux et les herbes ou fleurs déposés avec une pince à épiler. Tout est calme, précision et passion.

La cuisine des collèges évolue, et dans le bon sens
Dans les 55 collègues publics Eurois officient 55 chefs cuisiniers. Nous sommes allés à la rencontre de Vincent Buin, victorieux du concours départemental Nos Chefs Ont Du Talent 2024. Comme Obélix, il est tombé enfant dans la marmite, au-dessus de laquelle il continue de ravigoter. « J’ai eu la chance d’apprendre auprès d’étoilés comme avec le chef Roellinger, en Bretagne. Normand, j’ai voulu me rapprocher, j’ai monté une affaire dans le Pays d’Auge. Néanmoins, après la naissance de mon fils, j’ai décidé d’avoir une vie familiale. J’ai répondu à une annonce du Département de l’Eure pour un poste de chef remplaçant. Pour moi, le retour au collège fut une surprise. Contrairement à mon époque comme élève, de véritables actes de cuisinier s’y accomplissent. La politique de filière courte poussée par le Département va dans le bon sens. J’espère l’année prochaine être nommé dans un collège pour pouvoir travailler sur un temps long. » Son plat fétiche ? « Un poisson, un Bar servi avec un jus de viande bien beurré et des asperges fraîches. C’est juste magnifique. » Quand on vous dit que nos chefs ont du talent !